Beauté
- Le 19/04/2018
Pour Platon, il existe au-delà du monde perceptible un monde fait d’idées, immuables, éternelles, dont les réalités de notre monde, changeantes, périssables, sont l’instanciation, imparfaite.
Chacun de nous est par exemple une instanciation de l’idée d’homme.
Les idées sont accessibles par la seule raison alors que les réalités sont perçues par les sens.
La métaphysique de Platon a encore aujourd’hui de fervents adeptes chez les mathématiciens. Les mathématiques ressemblent en effet aux idées de Platon à bien des égards : on accède au monde mathématique par la raison ; le monde physique, appréhendé par des modèles mathématiques, peut être vu comme l’instanciation d’idées mathématiques ; l’instanciation est imparfaite, les modèles mathématiques ne marchent jamais parfaitement dans le monde physique. De nombreux mathématiciens voient ainsi dans les mathématiques un monde d’idées platoniciennes, qu’ils découvrent et explorent.
Pour Platon, la beauté se situe dans les idées, ainsi que la vérité à laquelle la beauté est simplement assimilée.
L’art qui pour lui est représentation des réalités, n’est qu’imitation, plus ou moins conforme. C’est une activité inférieure, qui ne peut s’élever qu’en tendant vers la représentation des idées.
Quoique reposant sur une métaphysique différente (la métaphysique chrétienne), l’esthétique classique ne remet pas en cause les fondements de l’esthétique platonicienne : la beauté est objective et elle est assimilée à la vérité.
Longtemps après Platon, Boileau écrit : « Rien n’est beau que le vrai. »
Les Lumières opèrent un renversement de perspective, exprimé par David Hume : « La beauté n’est pas une qualité inhérente aux choses elles-mêmes, elle existe seulement dans l’esprit qui la contemple, et chaque esprit perçoit une beauté différente ».
La subjectivité de la beauté est dès lors affirmée. Le rapport entre beauté et vérité est revisité ; l’art est progressivement déconstruit, jusqu’au « ready-made » de Duchamp, jusqu’à l’idée que tout est art.
Mais si tout est art, alors rien n’est art.
Jacques Maritain, philosophe chrétien du 20ème siècle, reprendra l’esthétique platonicienne pour contester le relativisme esthétique et montrer comment la beauté et la vérité ont partie liée dans l’art.
Il réhabilitera l’art comme représentation d’idées (qu’il nomme formes). Sa définition de l’idée sera plus "libérale" que celle de Platon et plutôt conforme à la définition d’Aristote, qui ne pensait pas les idées indépendantes de la matière qui les réalise. Pour Aristote, les idées sont « aussi nombreuses que les choses ».
Jacques Maritain écrira : « Ce qui est requis, ce n’est pas que la représentation soit exactement conforme à une réalité donnée, c’est que par les éléments matériels de la beauté de l’œuvre passe bien, souveraine et entière, la clarté d’une forme ; d’une forme et donc de quelque vérité : en ce sens-là le grand mot des Platoniciens, splendor veri (splendeur de la vérité), demeure toujours. Mais si la joie de l’œuvre belle vient de quelque vérité, elle ne vient pas de la vérité de l’imitation comme reproduction de choses, elle vient de la perfection avec laquelle l’œuvre exprime ou manifeste la forme, au sens métaphysique de ce mot ; elle vient de la vérité de l’imitation comme manifestation d’une forme. »
L’art est la représentation intelligible d’idées, singulières, produite par des artistes, singuliers. Les artistes s’emploient à représenter ce qu’ils ont dans la tête, avec précision. Ils mettent leur savoir-faire au service de cette représentation. C’est dans cette représentation qu’ils donnent à comprendre les idées.
Les idées peuvent être vides, ou sans grand contenu, être de simples impostures. Il n’y a alors rien ou pas grand-chose à comprendre.
Les idées peuvent être si singulières que les maîtres du passé ne les comprennent pas.
De quelle vérité parle Maritain ? De la vérité de la tête. Une vérité subjective, dans la tête de l’artiste dans un premier temps ; partagée par d’autres sujets par la suite.
In fine, une vérité intersubjective, pas une vérité objective.
La vérité objective pourra être travestie pour servir la vérité subjective de l’artiste.
Rodin explique par exemple comment, pour représenter un jeune homme à genoux levant des bras suppliants vers le ciel, il a accusé la saillie des muscles pour traduire la détresse, il a exagéré l’écartement des tendons pour marquer l’élan de la prière. Il ajoute qu’il l’a fait sur le moment sans s’en rendre compte, et constaté par la suite. Il explique que l’artiste « voit les vérités sous les apparences ».
Truman Capote écrit dans De sang froid ce qu’il appelle le « récit véridique » du massacre perpétré en 1959 par Perry Smith et Richard Hickock sur la famille Clutter. Il écrit en fait la vérité de ce qu’il a dans la tête à l’issue de son enquête qui dura 5 ans. Il rapporte par exemple dans son récit les propos que lui ont adressés Perry Smith et Richard Hickock. Ces propos sont réécrits, réagencés, adressés à d’autres personnes ou présentés dans des monologues : Truman Capote n’apparaît pas lui-même dans le récit. Le résultat est pourtant vrai et donne à comprendre quelque chose de ce massacre sans raison.
L’art est le lieu de la réconciliation entre le sensible et l’intelligible, entre la beauté et la vérité.
Le relativisme doit être combattu dans les arts comme dans les sciences, contre les imposteurs, contre les maîtres aussi.