Comédiens

  • Le 23/02/2021

Dans Paradoxe sur le comédien, Diderot se demande : « Si le comédien était sensible, lui serait-il permis de jouer deux fois de suite le même rôle avec la même chaleur et le même succès ? Très chaud à la première représentation, il serait épuisé et froid comme un marbre à la troisième. »
Dans le même texte, Diderot évoque l’acteur anglais Garrick, capable de passer dans son expression, en quelques secondes, de la joie à la tristesse, de la tristesse à l’abattement, de l’abattement au désespoir… Selon Diderot, Garrick ne peut éprouver toutes les sensations qu’il exprime dans un laps de temps si court : il les simule.

Pour Diderot, ce n’est pas la sensibilité mais son manque qui fait le vrai comédien.
D’où le paradoxe, puisque le comédien nous émeut par sa sensibilité apparente.

Laurence Olivier, le Garrick du 20ème siècle, qui a vu naître le cinéma d’aujourd’hui, partage le point de vue de Diderot.
Pour Laurence Olivier, le comédien est un technicien, un technicien des émotions, qu'il fabrique à sa guise.

Marlon Brando, acteur fétiche de l’Actors Studio, l'école du jouer vrai, confirmera à sa manière le point de vue de Laurence Olivier en expliquant que tout le monde ment, tout le temps… donc le comédien aussi.

Qu’est-ce que le vrai de la scène ? se demande Diderot.
Il répond : la conformité à un modèle, imaginé par le poète, exagéré par le comédien.

Où l’on retrouve la vérité de la représentation de la forme, évoquée dans Beauté.
A quoi s’ajoute l’outrance du comédien.

Diderot connaît bien les comédiens de son temps.
Il les aime, admire leurs performances, mais a une piètre opinion de leurs qualités morales : « Dans le monde, lorsqu’ils ne sont pas bouffons, je les trouve polis, caustiques et froids, fastueux, dissipés, dissipateurs, intéressés, plus frappés de nos ridicules que touchés de nos maux ; d’un esprit assez rassis au spectacle d’un événement fâcheux, ou au récit d’une aventure pathétique ; isolés, vagabonds, à l’ordre des grands ; peu de mœurs, point d’amis, presqu’aucune de ces liaisons saintes et douces qui nous associent aux peines et aux plaisirs d’un autre qui partage les nôtres. »