Performances
- Le 03/02/2021
En quelques secondes un champion d’échecs est capable de comprendre une position complexe et proposer un coup fort.
Si on lui demande comment il fait, il ne sait pas dire.
Il donnera au cas par cas des éléments de situation ou de processus qui expliqueront partiellement sa performance.
Pour autant la performance du champion d’échecs ne relève pas de la magie mais d’une expertise acquise à la suite d’un entraînement acharné de plusieurs années qui l’a rendu capable de rapprocher de façon non consciente n’importe quelle position d’un nombre incalculable d’autres positions rencontrées antérieurement.
Tout le monde ne peut pas devenir champion d’échecs : il faut des dispositions particulières.
En revanche tout le monde est capable de détecter en quelques secondes la colère, la tristesse, la joie… dans les inflexions d’une voix.
Cette performance n’est pas moins étonnante que celle du champion d’échecs et on ne sait pas non plus dire comment on fait.
Comme le champion d’échecs on pourra donner au cas par cas des éléments qui expliqueront partiellement notre performance qui repose aussi sur une expertise, acquise aussi à la suite d’un entraînement de plusieurs années, mais sans effort puisque cet entraînement fait partie de l’apprentissage standard de tout sapiens normalement constitué.
Intelligence artificielle
L’intelligence artificielle essaie depuis l’origine de reproduire les performances humaines.
Deux générations de systèmes se sont succédé jusqu’à présent : les systèmes experts ; les réseaux de neurones.
Un système expert essaie de reproduire les mécanismes logiques de la pensée consciente.
Un réseau de neurones essaie de reproduire les mécanismes biologiques (neuronaux) de l’apprentissage.
Les mécanismes élémentaires du système expert sont intelligents ; ceux du réseau de neurones sont bêtes, c’est leur répétition qui rend le réseau de neurones intelligent.
Les systèmes experts n’ont pas eu le succès attendu et leur usage est limité aujourd’hui à un petit nombre d’applications comme le diagnostic (médical ou de panne industrielle).
A l’inverse les réseaux de neurones ont rencontré un franc succès en profitant de l’amélioration des performances des machines (big data) ainsi que des méthodes (deep learning).
On les trouve aujourd’hui dans une multitude d’applications spectaculaires comme la reconnaissance faciale ou vocale, la traduction automatique, le véhicule autonome…
Un système expert est constitué d’un moteur d’inférence opérant sur une base de faits et règles.
Sauf dans un nombre limité d’applications, il est difficile voire impossible d’établir une base pertinente de faits et règles.
De nombreuses performances humaines ne relèvent pas de cette approche : précisément celles pour lesquelles on ne sait pas dire comment on fait.
Contre-performances
Chacun constate dans sa vie personnelle qu’il répète, sans pouvoir les éviter, des erreurs de comportement.
Ces erreurs qu'on dirait renforcées par un apprentissage conduisent à des contre-performances qui ressemblent aux performances évoquées précédemment.
On ne cherche pas bien sûr à reproduire ces contre-performances par l’intelligence artificielle mais elles semblent bien souvent relever d’une approche réseau de neurones dans laquelle c’est la répétition et l’entraînement – involontaires en l’espèce – qui font la contre-performance.
On ne peut pas plus les expliquer qu’on ne peut expliquer la performance ponctuelle d’un réseau de neurones, sauf à rappeler comment il a été construit i.e. par l’habitude.
Contrôle
Comment ne plus subir ces contre-performances ou au moins les mettre sous contrôle ?
Comme dans le réseau de neurones, en ajoutant, en entraînant, en corrigeant.
On n’efface pas ; on ne revient pas en arrière.
Psychiatres, psychanalystes et autres psychologues proposent ce qu'il est convenu d'appeler des thérapies reposant sur de vagues protocoles, et un simple mot d’ordre : « Parlons-en ! »
Les théories qui fondent les protocoles ont peu d’importance.
A l’image des psychanalystes qui à défaut de simplifier leurs théories n’ont jamais cessé de simplifier leur protocole ; l’analyse est une expérience comme une autre, une expérience qui ajoute, et ça marche ou ça ne marche pas.
Tout ce qu’on se dit dans une thérapie sera apprécié à l’aune de ce que ça fait.
Ce qui compte in fine : la motivation, la sympathie et l’expérience du praticien.
La quête d’un bon praticien, bon pour soi, est aussi hasardeuse que la quête d’un ami.
Quant à la pharmacologie, ses progrès n’ont invalidé qu’en partie la réponse du médecin à la question de Macbeth :
« Ne peux-tu donc soigner un esprit malade,
Arracher de la mémoire un chagrin enraciné,
Effacer les soucis gravés dans le cerveau,
Et, par la vertu de quelque bienfaisant antidote d'oubli,
Nettoyer le sein encombré de cette matière pernicieuse
Qui pèse sur le cœur ?
– C’est au malade en pareil cas à se soigner lui-même. »