Libre arbitre

  • Le 28/11/2017

Lorsque nous pensons ou agissons, sommes-nous libres ?

La science a établi que nous sommes faits de de la même matière que les étoiles que nous observons ; les tables, les voitures ou les robots que nous fabriquons.
Nous sommes soumis comme chacun de ces objets aux lois de la physique.
Jusqu’à quel point ces lois nous contraignent-elles dans nos pensées ou nos actions ?

Laplace écrit en 1814 : « Nous devons envisager l'état présent de l'univers comme l'effet de son état antérieur, et comme la cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui, à un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d’ailleurs elle était suffisamment vaste pour soumettre ces données à l’analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome ; rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir, comme le passé, serait présent à ses yeux. »

S’appuyant sur le modèle mécanique de Newton, Laplace imagine un monde dans lequel, en tant qu’objets matériels, nous sommes condamnés à penser et agir conformément à une histoire qui est écrite.
Un monde terrible et plutôt vain dans lequel la liberté n’a pas sa place ; un monde dans lequel il convient de douter de toutes les idées émises, fût-ce par M. de Laplace… sauf à être convaincu qu’il est une sorte de prophète.
Les fondements de sa théorie ont été invalidés moins d’un siècle après qu’il l’eut énoncée.

Laplace croyait avoir démontré la stabilité du mouvement de 3 corps matériels en interaction gravitationnelle (comme le soleil, la terre et la lune).
Poincaré a démontré que ce système à 3 corps comme de nombreux systèmes physiques est imprédictible du fait de sa sensibilité aux conditions initiales. Pour prédire l’évolution du système à partir d’une situation initiale, il faudrait connaître avec une précision infinie les conditions initiales.
Au-delà du système à 3 corps, c’est l’instabilité de l’ensemble du système solaire qui est démontrée. On ne peut pas prévoir son évolution au-delà d’une dizaine de millions d’années. Les simulations récentes ont établi que des collisions ou des éjections de planètes sont possibles (dans un horizon plutôt lointain : 5 milliards d’années).
La prédictibilité universelle de Laplace est remise en cause.

Un autre système physique va remettre en cause plus profondément la vision du monde de Laplace.
Lorsqu’on projette un photon sur un écran, on ne peut pas prévoir la position de l’impact sur l’écran mais seulement la probabilité de cet impact ici ou là.
On montre que l’incertitude et la probabilité associée ne sont pas le fait de notre connaissance imparfaite des conditions initiales mais que le photon n’a tout simplement pas de position dans l’espace avant son impact sur l’écran.
Cette fois, c’est le déterminisme universel de Laplace qui est remis en cause.

Et le libre arbitre dans tout ça ?
Il est difficile de dire que le libre arbitre est dans l’imprédictibilité lorsque cette imprédictibilité est le fait de notre ignorance.
Le libre arbitre n’est pas non plus dans le hasard. Mallarmé le sybillin l’a écrit : « Un coup de dés jamais n’abolira le hasard. »
Pourtant, dans un sens que précise Stanislas Dehaene, le libre arbitre est bien dans les machines biologiques autonomes que nous sommes, ces machines réalisées par l’évolution.

Que faut-il entendre par libre arbitre ?
Pas le pouvoir de délibération ex nihilo d’un être abstrait sans passé ni désir (comme l’âne de Buridan qui meurt de faim et de soif entre son picotin d'avoine et son seau d'eau).
Il faut entendre par libre arbitre la capacité à prendre nos décisions en toute indépendance en nous appuyant sur nos croyances et notre expérience passée tout en contrôlant nos pulsions indésirables.
C’est ce que permet la conscience qui recueille les informations en provenance des sens et de la mémoire, en fait la synthèse et évalue les conséquences de chaque option.

Il est vrai que nous ne comprenons pas bien aujourd’hui les processus cérébraux par lesquels s'opère la sélection des informations transmises à la conscience.
Il est vrai aussi que nous comprenons encore très partiellement comment la mémoire enregistre les informations et en permet le rappel à la conscience ultérieurement.
Il est vrai enfin que le hasard intervient aussi dans notre prise de décision.

Pour autant, comme l’écrit Stanislas Dehaene : « Ce qui compte pour qu’une décision soit libre, c’est l’autonomie de la délibération. »
Dans ce sens, nous sommes bien libres.

Dans son livre Homo deus, 2 siècles après Laplace, l’historien Yuval Harari écrit : « Les décisions prises au terme d’une réaction en chaîne d’événements biochimiques, chacun d’eux étant déterminé par un événement antérieur, ne sont certainement pas libres. »
Dans ce même livre, il nous met en garde contre les risques portés par les évolutions technologiques en cours. Des hommes « augmentés » associés à des robots pourraient prendre le pouvoir sur nous, les sapiens pas augmentés. Il s'adresse au lecteur : « Libre à vous de penser et vous conduire de façon que les scénarios qui ne vous plaisent pas ne se matérialisent pas. »
Alors, libre ou pas libre ?
Oublions la contradiction et retenons la mise en garde.

Nous sommes libres, pour le meilleur et pour le pire.