Vérité

  • Le 14/09/2017

Est-on jamais sûr de rien ?

L’incertitude semble inhérente au savoir.

Que faut-il en penser ?
 

Vérité
 

Est-il vrai que M. Mercier a tué l’amant de sa femme ?
M. Mercier est accusé du meurtre de l’amant de sa femme. M. Richard, voisin de la victime, dit avoir reconnu dans l’obscurité M. Mercier alors qu’il sortait du domicile de la victime, la nuit du crime. Un mobile certes – la victime est l’amant de la femme de M. Mercier –, mais pas d’éléments de preuve matériels en dehors du témoignage de M. Richard qui n’a pas vu M. Mercier tuer la victime, qui peut s’être trompé, avoir menti.
On ne peut pas être sûr que M. Mercier a tué l’amant de sa femme.

Est-il vrai que nous vivons dans un espace-temps courbé par la matière ?
Notons tout d’abord que cela ne peut être vrai que dans un sens métaphorique. L’espace-temps (courbé par la matière) de la relativité générale est une représentation géométrique unifiée de l’espace et du temps dans lesquels nous sommes immergés, un modèle mathématique qui permet de comprendre la gravité et ses effets. Un modèle n’est pas le réel, même s’il permet de l’appréhender.
Le modèle de la relativité générale a toujours été confirmé par l’expérience, sauf quand la densité de matière est trop grande : trou noir, univers primordial. Tôt ou tard, il sera remplacé par un modèle de gravité quantique qui prendra en compte ces environnements. Nous ne savons pas aujourd’hui de quoi sera fait ce futur modèle.
On peut dire que la relativité générale est le meilleur modèle de gravitation que nous ayons aujourd’hui ; on ne peut pas dire, de façon définitive, que nous vivons (même dans un sens métaphorique) dans un espace-temps courbé par la matière.

Est-il vrai que l’équation xn+yn=zn n’a pas de solution entière pour n>=3 ?
Cette conjecture formulée par Fermat il y a plus de 3 siècles a été démontrée par Andrew Wiles en 1994. Les règles de la démonstration mathématique ont été fixées par les mathématiciens. Elles sont respectées par Andrew Wiles dans sa démonstration.
On est sûr que l’équation xn+yn=zn n’a pas de solution entière pour n>=3.
(Nous admettrons que le petit nombre de mathématiciens compétents qui ont validé sa longue et complexe démonstration ne se sont pas trompés.)

 

Incertitude
 

Dans les exemples qui précèdent, seule la vérité mathématique est certaine et pérenne (tant que les mathématiciens ne décident pas de revoir les règles de la démonstration).
Seules les vérités de raison, que l’on démontre par la logique, peuvent être certaines ; les vérités de fait, tirées de l’expérience, ne peuvent pas être certaines.

L’incertitude est bien la règle, dans tous les domaines du savoir, sauf les mathématiques.

A propos, à quoi servent les mathématiques ?
A quoi sert par exemple la conjecture de Fermat, aujourd’hui démontrée ? En l’état, à rien.
Les mathématiques ne servent à rien, en général. Les mathématiciens développent de très nombreuses théories ; un petit nombre d’entre elles sert à modéliser et comprendre le réel, avec efficacité, et justifie la formule de Galilée : « La nature est écrite en langage mathématique. »
S’il est efficace, un modèle mathématique dit quelque chose du réel qu’il représente, mais ce qu’il dit du réel ne peut pas être vrai absolument.

Dans ces conditions, à quoi bon chercher la vérité du réel, puisqu’elle reste toujours entachée d’incertitude ?

Juges et jurés cherchent la vérité, ensemble, pour les besoins de la justice.
Même si on n’arrive pas à démontrer que M. Mercier a tué son rival, il n’en reste pas moins que oui ou non il l’a fait. S’il l’a fait, il doit aller en prison ; si juges et jurés ne parviennent pas à l’intime conviction que M. Mercier est coupable, alors il faudra l’acquitter.
La recherche de la vérité par la justice est un exercice collectif s’appuyant sur les preuves produites par toutes les parties et un débat contradictoire.

Le même processus – preuve et débat contradictoire – fonctionne pour la connaissance, qui est aussi collective (aucun Pic de la Mirandole ne porte tous les savoirs contemporains). Il est à l’œuvre dans les sciences ; il fait défaut partout où règne l’argument d’autorité, partout où prévaut l’idée que tous les savoirs se valent dès lors qu’aucun n’est certain.

Cette dernière idée – tous les savoirs se valent dès lors qu’aucun n’est certain – est évidemment fausse. Les acteurs de la décision de justice le savent bien : lorsque les preuves matérielles font défaut, l’intime conviction repose sur une évaluation de la vraisemblance des hypothèses en concurrence, et alors toutes les hypothèses ne se valent pas.
 

Science
 

La recherche de la vérité est bien dès l’origine le but de la science qui est née en Grèce avec la volonté de comprendre le monde par la seule raison puis s’est développée en Europe en y ajoutant la vérification des théories par l’expérience.

Qu’est devenue la science aujourd’hui ?
Pour Popper, on est dans la science lorsque ce qu’on dit peut être infirmé par l’expérience. Chaque théorie scientifique est ainsi assortie de prédictions qui si elles sont contredites par l’expérience alors la théorie pourra être abandonnée ; si en revanche elles se réalisent alors la théorie sortira renforcée (comme la mécanique classique avec la découverte de Neptune prédite par Le Verrier).
Feyerabend a objecté à Popper que la mécanique classique n’a pas été abandonnée quand elle a été infirmée par la précession du périhélie de Mercure. Elle n’a pas non plus été abandonnée ni remplacée à proprement parler par la relativité générale lorsque cette dernière a rendu compte de cette précession. Pourquoi ? Parce que la mécanique classique reste féconde même si elle est moins précise que la relativité générale et repose sur un modèle conceptuel très différent.
Feyerabend faisait également remarquer que la science n’a pas vraiment de méthode, que si on devait résumer sa façon de faire, on dirait : « Tout est bon. »

Feyerabend a raison. Comte affirmait par exemple en 1835 que la composition chimique des étoiles resterait à jamais hors de portée de la science ; il n’a pas vécu assez longtemps pour voir naître la spectrographie qui permet de tirer cette information de la lumière émise par les étoiles. De la même façon, on ne sait pas aujourd’hui comment on pourra un jour valider l’hypothèse du multivers (univers multiples). Et pourtant il le faudra bien si on veut que cette hypothèse ne reste pas une simple spéculation, comme n’importe quelle croyance religieuse.

Le succès de la science repose sur une règle simple : tout peut être discuté, tout le temps, par tout le monde… sous réserve que ce soit étayé. Que veut dire étayé ? Ça se discute aussi, mais en tout état de cause on s’appuiera sur des preuves, un débat contradictoire ; on rejettera invariablement l’argument d’autorité. (Le processus s’enraye bien de temps à autre mais, ainsi que l’histoire des sciences le montre, finit toujours par triompher.)
 

Et après ?
 

La survie de notre espèce dépendra de la capacité de tous les sapiens, quelles que soient leurs cultures, leurs croyances (religieuses ou païennes), à vivre ensemble dans un monde globalisé.

Les conflits humains les plus brutaux opposent souvent des communautés de croyances, des religions. Dans une perspective de paix, le rapport à la vérité est essentiel.

La science est quelquefois difficile à comprendre, le débat contradictoire est toujours actif, l’incertitude est la règle. Mais la science reste universelle, accessible à tous les sapiens. Elle permet d’identifier les croyances fausses, de statuer raisonnablement entre des croyances contradictoires, de sortir du dialogue de sourds : « Mes croyances sont vraies ; les tiennes sont fausses. »

La science et l’éducation qui l’accompagne ont fait évoluer cultures et croyances partout, de longue date ; elles continueront de le faire et restent le meilleur support sur lequel on pourra bâtir une société humaine globalisée pacifique.