Economie
- Le 20/10/2016
L’économie politique est née au 17ème siècle.
Au 20ème siècle, elle est devenue économie, comme affranchie de la politique.
Elle revendique aujourd’hui un statut de science.
Qu’en est-il ?
L’économie est-elle une science ?
Lorsque Adam Smith écrit en 1776 Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations il connaît l’œuvre de Newton. Il a lu Philosophiae Naturalis Principia Mathematica publié en 1687 et il entend montrer que l’économie obéit comme la physique à des lois naturelles.
Le travail de Smith est prolongé en 1874 par Walras qui donne une formulation mathématique de la « main invisible » de Smith en s’interrogeant sur l’existence d’un « équilibre général ».
La première démonstration moderne – mathématique – de l’existence d’un équilibre général sera faite en 1954 par Arrow et Debreu.
Le modèle de l’équilibre général rappelle à bien des égards la mécanique de Newton. Il a un caractère fondateur pour l’économie moderne. Il est censé lui donner ses lettres de noblesse scientifique.
Le modèle d’équilibre général se démarque pourtant du modèle mécanique de Newton en ce qu’il ne représente pas le réel comme le modèle de Newton mais bien plutôt ce que le réel pourrait être s’il voulait bien se conformer aux hypothèses du modèle : information parfaite, rationalité…
L’écart entre le modèle et la réalité n’est simplement pas connu, ou de façon tellement sommaire que le modèle est d’une utilité faible pour comprendre la réalité économique et dire avec une certitude raisonnable ce qu’on obtiendrait si on essayait de la modifier pour se rapprocher du modèle.
Si les économistes appréhendaient mieux l’écart entre la réalité et leurs modèles, ils seraient sans doute moins démunis face aux crises qui secouent l’économie mondiale régulièrement.
S’il était vrai que l’économie est une science comme la physique, alors il faudrait attendre de la théorie économique qu’elle nous éclaire sur l’histoire du monde économique comme la cosmologie nous éclaire sur l’histoire du monde physique : le monde économique est passé de structures d’échanges frustes entre sapiens du néolithique à l’économie mondialisée d’aujourd’hui de la même manière que le monde physique a évolué de la soupe primordiale aux structures que nous observons aujourd’hui.
S’il était vrai que l’économie est une science comme la physique, alors on devrait voir en économie des prédictions comparables à celle que Georges Gamov a émise à propos du big bang.
Georges Gamov a prédit en 1948 que si le modèle de big bang était vrai alors l’univers devrait être empli d’un rayonnement électromagnétique dont il donnait les caractéristiques attendues.
Ce rayonnement, dit aujourd’hui rayonnement fossile ou fond diffus cosmologique, a été observé par hasard plus de 20 ans après que la prédiction a été faite.
L’observation a considérablement renforcé l’hypothèse du big bang.
En supposant que nous ayons les données historiques appropriées, imagine-t-on une prédiction de la théorie économique remontant par exemple au néolithique et confortant un modèle d’évolution ?
Non.
Pourquoi ?
Simplement parce que les sapiens ne se comportent pas comme les astres : ils peuvent par exemple décider individuellement ou collectivement de ne pas suivre les prescriptions d’un modèle ; les astres ne le peuvent pas.
La croissance de l’économie et l’expansion de l’univers ne sont pas homologues : on peut décider de stopper la croissance de l’économie mondiale ; on ne peut pas décider de stopper l’expansion de l’univers.
La meilleure définition de la science a été donnée par Karl Popper : on est dans la science lorsque ce qu’on dit peut être infirmé par l’expérience.
Les meilleures théories scientifiques sont ainsi assorties de prédictions qui si elles sont contredites par l’expérience alors les théories peuvent être abandonnées ; si en revanche elles se réalisent alors les théories sortent renforcées (comme celle du big bang par la découverte du rayonnement fossile).
C’est ainsi que les résultats de la science s’imposent à tous.
On comprend que l’économie ne répond pas à cette exigence de confrontation au réel.
Les modèles de l’économie qui se veulent explicatifs comme le modèle de l’équilibre général (et ses avatars ultérieurs) sont en fait des modèles de simulation ; ils montrent au mieux ce vers quoi il faut aller : laisser-faire, réguler, redistribuer…
Ces modèles ne relèvent pas de la science dès lors qu’ils ne s’exposent pas à être infirmés par l’expérience.
Thomas Piketty évoque dans son livre Le capital au 21ème siècle la « passion infantile » des économistes pour les mathématiques.
Pour lui, il n’existe pas de loi économique, il existe « une multiplicité d’expériences historiques et de trajectoires à la fois nationales et globales, faites de bifurcations imprévues et de bricolages institutionnels instables et imparfaits, au sein desquels les sociétés humaines choisissent et inventent (c’est moi qui mets en italiques) différents modes d’organisation et de régulation des relations de propriété et des rapports sociaux. »
Et après ?
Les propagandistes de l’économie science aimeraient débarrasser l’économie de la politique ou au moins démontrer que le monde économique est le résultat de forces évolutives comme le monde physique et biologique ; qu’il est inégalitaire comme lui, que nous n’y pouvons rien, qu’on peut se passer de politique pour faire de l’économie.
Si on se préoccupe de vivre dans un monde stable avec un niveau d’inégalité contrôlé, il faut au contraire faire de l’économie politique, i.e. réguler et redistribuer.